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Le végétal dans la céramique fajalauza.
samedi 1er décembre 2012
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La céramique grenadine la plus courante et actuelle est connue, depuis le milieu du XIXe siècle, sous le nom de fajalauza. La plupart des potiers de cette ville se sont fixés progressivement, dès la fin du XVIe siècle jusqu’à aujourd’hui, dans l’Albaicin à côté de la Puerta del Golf ou Fajalauza Almendros ; cette porte prit le nom, à la fin du XIXe siècle, de la plus grande usine de céramique de Grenade, appartenant à la famille Morales, Fajalauza désignant à la fin du XIXe siècle toute la production de la céramique typique de cette ville.

Cette céramique est caractérisée par un glacis intense, des motifs traditionnels envahissant la surface entière de l’objet, des techniques simples de dessin réalisé à main levée avec une spontanéité typique de la poterie populaire.

La céramique est liée aux événements historiques vécus par la ville et aux besoins de la vie quotidienne des populations qui la font et l’utilisent. Elle hérite du décor musulman dont la continuité passe par les ateliers et les traditions mauresques ; elle est par ailleurs inscrite dans les lois et les us et coutumes de l’industrie manufacturière qui se sont transmis de parents à enfants dans les ateliers d’artisanat jusqu’au XXe siècle.

Les recherches montrent l’influence de l’histoire sur l’évolution de la céramique de Grenade et son importance, car elle est présente dans tous les domaines, depuis la conquête par les rois catholiques de la ville en 1492. A partir de cette date, bien que les capitulations aient permis la continuité des coutumes, de la langue et de la religion, commence une phase d’acculturation de la société maure de Grenade qui produit une évolution majeure dans la céramique. Cette évolution met un terme aux productions les plus luxueuses de la céramique nasride ; elle permet cependant l’essor de la production de la faïence la plus courante, utilisée quotidiennement pour des usages et des populations plus modestes.

Si cette poterie est née principalement entre les mains des Maures, la nécessité pour elle de se transformer et de s’adapter à une réalité sociale et historique nouvelle, lui permet de s’affranchir de son héritage et d’acquérir son véritable style : une céramique fortement influencée par les traditions islamiques, et surtout celles des Nasrides, mais avec de nombreux éléments personnels. Elle hérite des nasrides « l’horreur du vide » ; les tons bleus du feuillage des plantes rappellent les « atauriques » islamiques, mais ils s’appliquent à des motifs plus naturalistes, qui font la valeur de la poterie fajalauza pour les amateurs et les collectionneurs.

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Les techniques traditionnelles

Le processus de fabrication de la poterie à Grenade est enracinée dans les traditions anciennes pour ses poursuivre presque sans variation jusqu’aux progrès techniques et à l’industrialisation de l’artisanat en céramique au XXe siècle. La poterie est d’abord née dans les ateliers artisanaux hérités de père en fils, conservant les traditions et coutumes de fabrication. Ces ateliers ont été organisés en corporations, maîtres et apprentis.

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La première étape est l’extraction de l’argile, qui est ensuite purifiée dans l’atelier, jusqu’à l’obtention d’une pâte appropriée pour la modélisation et la cuisson ultérieure, ce qui était très important pour assurer la qualité des tuiles. Puis elle prend forme dans des tours à sens unique, qui sont restés en Andalousie et à Grenade dans leur forme arabe, creusée dans le sol. Une fois les pièces moulées, elles sont laissées à sécher, puis émaillées. La céramique émaillée est commune dans toute la région héritée du califat d’Andalousie. L’émail permet à la céramique d’être nettoyée et de contenir parfaitement tout liquide, sans fuite, ce qui était indispensable pour son usage domestique. La céramique fajalauza est caractérisée par une première couche de glaçure stannifère blanche, sur laquelle est appliqué le décor peint.

Les brosses de peintre sont utilisées avec plusieurs houppes, pour peindre les éléments les plus grands comme les bassins, mais également, avec la finesse de cheveux, pour le décor des pièces les plus délicates. Le décor est dessiné à main levée. Dans les premiers modèles, ne sont utilisés à Grenade que des motifs géométriques. Une fois que les pièces sont réunies, elles sont cuites dans le four arabe, parfois deux fois, si elles ont donné lieu à deux couches de glacis.

L’évolution historique du processus technique

La production fajalauza est le fruit d’un processus qui évolue lentement à Grenade depuis l’époque nasride, pour se développer principalement à partir du XVIe siècle. En 1492 la conquête du royaume de Grenade nasride par les Rois catholiques a marqué le début d’une transformation dans tous les domaines de la vie urbaine, y compris celui de la céramique. On quitte progressivement les coutumes et techniques arabisantes pour s’adapter aux nouvelles manières exigées par les mœurs et usages chrétiens. Cette transformation sera lente, en partie parce que les productions artisanales étaient pour la plupart entre les mains des Maures : au XVIe siècle on a recensé 86% Maures parmi les artisans de Grenade. Contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres grands centres de production de poteries islamiques, comme Séville, Tolède ou Malaga, la poterie de Grenade a évolué indépendamment des influences de la Renaissance et du baroque. Les productions de cette période sont donc moins connues. Les fouilles de l’Hôpital Royal de Grenade, qui a subi un incendie à la fin de cette période, ont permis de mettre au jour des objets permettant une meilleure compréhension des formes et des motifs de la première céramique fajalauza : les pièces sont encore typiques du pouvoir maure, les formes largement arabisantes, comme le cuscuseras, qui permettait la cuisson à la vapeur du couscous ; toutes les pièces sont décorées principalement d’un glaçage blanc et de motifs décoratifs très simples.

Les événements historiques et les différents soulèvements menant à la révolution mudejar, à la fin du XVIe siècle, dans les Alpujarras, ont abouti à l’expulsion des Maures ordonnée par le roi Philippe III en 1610, et à la confiscation de tous leurs biens au bénéfice de la couronne. Les XVIIe et XVIIIe siècles voient naître une nouvelle céramique grenadine caractérisée par une utilisation et une facture populaire, qui se traduit dans deux types d’usage : domestique (récipients et plat pour la cuisine) et décoratif -fontaines, assiettes décoratives, carreaux, plaques de rue et même pierres tombales-, utilisant un décor naïf et spontané.

Le XVIIe siècle est caractérisé par une céramique dont les motifs décoratifs sont très simples, principalement concentrés sur la panse des jarres et au centre des assiettes et des bols. Le vernis couvre toute la pièce, sauf la base laissée non vernissée. Au XVIIIe siècle, cette décoration se complique progressivement par des motifs végétaux qui deviennent plus abondants et qui occupent de plus en plus de surface. Cette évolution aboutira au XIXe siècle au « manteau » en céramique. Au XVIIIe siècle, la couleur la plus importante est le bleu. C’était la couleur la plus chère utilisée pour un décore spécifique. Elle est appelée « pierre bleue », d’un bleu un peu gris. Cependant, à la fin du XIXe siècle, on introduit un nouveau bleu provenant d’Angleterre, d’une teinte très pure, le bleu de cobalt.

À partir de ce moment, la nuance du bleu va devenir très brillante et intense. Le décor associe parfois au bleu le vert, une couleur très courante au XVIIIe siècle. La poterie utilise également le ton violet brun à partir de l’oxyde de manganèse largement utilisé au cours de la période arabe. Le vert, plus économique, sera la couleur exclusive de certains types de grandes pièces. Au XVIIIe siècle, la décoration est spontanée et légère, faite avec un pinceau très épais, combinant souvent de motifs végétaux sur la panse des vases, avec des touches géométriques sur les anses.

Au XIXe siècle la décoration reprend le modèle traditionnel en le compliquant. Elle envahit toute la surface des objets, y compris les anses des vases, avec des lignes géométriques de plus en plus plus précises et abondantes. À la fin du XIXe siècle la poterie fajalauza vit un grand changement, en trouvant des moyens faciles de se concentrer sur une décoration très fleurie. Le changement le plus immédiat est l’utilisation du bleu mentionné précédemment. Le deuxième changement majeur est l’apparition du « repeint » qui produit un décor très fleuri, dessiné finement, gagnant toute la surface de la céramique. Cette évolution s’accompagne par ailleurs de l’apparition de nouveaux motifs, floraux et architecturaux.

Au XXe siècle on introduit également de nouvelles technologies conduisant à une production nouvelle, sophistiquée dans sa décoration, destinée principalement aux touristes et aux collectionneurs.

Les motifs décoratifs.

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L’importance des motifs végétaux dérive des atauriques islamiques, mais dans une version plus simple, plus naturaliste. La décoration fleurie envahit la forme, s’élevant du sol et se développant tout au long de la pièce. Ces motifs, déjà présents au XVIIe siècle, deviennent de plus en plus légers, dans une complexité croissante jusqu’au XIXe siècle, où les dessins de fleurs et d’animaux sont repeints avec des traits fins et délicats.

Ces fleurs sont de types différents ; il s’agit souvent de marguerites, qui peuvent être grandes ou petites ; celles-ci sont parfois personnifiées avec les yeux, le nez et la bouche d’êtres humains. Certaines fleurs rappellent parfois leur passé islamisant : leurs pétales ovales s’imbriquent circulairement autour d’un point central. Les fruits qui se mélangent aux fleurs sont principalement des grenades, symboles de la ville, représentées le fruit ouvert ou fermé.

Parmi les animaux associés aux fleurs, nous pouvons observer des insectes, papillons ou libellules, mais surtout des oiseaux, élément typique de la céramique mauresque, où il est fréquent de voir des échassiers, des paons et toutes sortes d’oiseaux, jusqu’aux minuscules qui se cachent parmi les fleurs. L’aigle à deux têtes, symbole des Rois Catholiques et de la monarchie espagnole, est également un motif fréquent de la céramique fajalauza, comme le sont les éléments héraldiques ou les monogrammes religieux.

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Les formes de la céramique fajalauza

Les formes de la poterie de Grenade sont adaptées à la production et à l’usage populaire. Elles sont produites par des artisans pour un marché et une utilisation simple, qui ne changent pas de façon significative, jusqu’aux transformations du XXe siècle qui vont permettre d’aborder un autre marché, celui des collectionneurs et des touristes ; en fonction des besoins et de la mode, les formes se diversifient pour se faire sucriers, cendriers, bols à anses, vases, fontaines ovales, coquetiers, services à café ou à thé, pots à conserve, soupières, saucières… Ces formes de la céramique fajalauza héritent d’abord de la céramique arabe, mais adaptée à l’usage des nouveaux chrétiens.

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Les types les plus importants de cette céramique sont les suivants :
- Le lanceur alcarraza, l’une des pièces les plus caractéristiques de la céramique grenadine, avec un corps globulaire et un col cylindrique surmonté de deux poignées. Ce type de pièce utilisait un couvercle, parfois perdu, pour les pièces les plus anciennes.
- La jarre globulaire a, comme son nom l’indique, un corps globulaire. Elle a un cou plus court que l’alcarraza et une plus grande hauteur, d’environ 20 cm. Ce type de poterie combine, dès le XVIIe siècle, le bleu du décor central avec le vert des poignées.
- Les jarres à vin et à vinaigre : elles ont un corps cylindrique, un col étroit avec une lèvre arrondie et un bec verseur rigide. Elles diffèrent cependant les unes des autres en taille, le vinaigrier étant plus petit. Elles ont une forme cylindrique caractéristique de Grenade. Certaines pièces sont très anciennes : les premiers spécimens semblent dater du XVIIIe siècle. - Les plats et bols : certains d’entre eux datent du XVIIIe siècle ; leur décor très abondant utilise la pierre bleue caractéristique avec laquelle les motifs se concentrent sur le pourtour d’un centre orné d’étoiles. Ces différents types de plats présents dans le musée de Grenade ont été utilisés pour préparer et servir de la nourriture, mais aussi comme objets de décoration.

Le bol braserillo en est un exemple. Sa base plate et sa typologie en font un héritier des larges plats ataifors arabes, dont la production ne s’est pas interrompue depuis l’époque nasride, pour se poursuivre jusqu’aux céramiques lustrées aux reflets d’or de Manises. Le plat semillano est l’une des céramiques les plus courantes et facilement réalisables du fajalauza. Comme son nom l’indique, c’est un plat de dimension moyenne, entre 25 à 30 cm dont la plaque est de moyenne épaisseur. Son usage principal est domestique, destiné à recevoir et présenter la nourriture.

En conclusion, nous pouvons dire que la céramique fajalauza telle que nous la connaissons aujourd’hui s’est concentrée à Grenade. Elle a commencé à prendre forme au cours du XVIe siècle, s’est entièrement définie au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, pour s’adapter, au XIXe siècle, au goût de l’époque et aux nouveaux matériaux disponibles ; son décor a multiplié progressivement les motifs et les couleurs qui prennent aujourd’hui des tonalités de joaillerie, où le végétal est prépondérant.


Maria Josefa Lopez Montes, Directrice du Centre d’Éducation des adultes "Paulo Freire" de Maracena, professeur d’Histoire de l’Art.

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